Al-Wadi
Lebanon
Salhab Ghassan
L’écran est encore noir. Le son d’une voiture qui vient au loin. Un soudain crissement de pneus. Un silence, suivi d’un violent impact.
Nous sommes en haute montagne, à Ouyoun el Simane, au Liban. Un paysage encore enneigé. Un homme d’une cinquantaine d’années émerge du bord de la route. Il est en sang, hébété. L’explosion de sa voiture dans le ravin le fait sursauter.
Désemparé et visiblement sous le choc, l’homme longe cette route montagneuse déserte.
Une voiture en panne plus loin. Vainement penchés sur le moteur, Marwan et Ali, la quarantaine tous deux, sont pour le moins surpris de voir l’homme accidenté.
Ils l’interpellent sur l’accident, mais l’homme semble être dans un état second et réalise au bout de quelques questions posées qu’il a perdu la mémoire. Les deux hommes réessayent de mettre en marche le moteur quand l’homme accidenté (étant donné son amnésie, nul nom ne lui est attribué) intervient spontanément et règle le problème mécanique. Il perd conscience aussitôt après.
Ali laisse Marwan s’occuper de l’inconnu, et va chercher plus haut les deux femmes qui les accompagnent, Carole, la quarantaine, et Maria, la vingtaine, juchées sur des rochers, grillant des cigarettes tout en admirant le paysage. Au loin, entre deux flancs de montagne : la vallée de la Békaa.
La voiture remise en marche dévale une route sinueuse vers la vallée en question, l’homme accidenté encore inconscient, embarqué avec ces deux femmes et ces deux hommes.
Ils hésitent à abandonner cet inconnu en cours de route.
Ils traversent une partie de la vallée. Toujours engourdi, l’homme accidenté entrouvre parfois les yeux. Le temps d’apercevoir un barrage militaire, un village, où une église est suivie d’une mosquée. La voiture quitte la route principale et emprunte des chemins à peine fréquentés. Ils arrivent dans un vaste domaine privé. Des hommes armés sont de garde. Des champs, des plantations à perte de vue, un hangar (d’où l’on devine une importante activité) et une grande maison au cœur de tout cela.
Alors que Ali et Marwan déchargent la voiture, Carole emmène l’homme accidenté toujours aussi confus à l’intérieur de la maison.
Carole qui prend soin des blessures de l’homme accidenté, remarque une grande cicatrice scindant en deux la poitrine de l’homme (suite à une opération à cœur ouvert visiblement). Elle remarque aussi qu’il porte des lentilles de contact. Après avoir bander ses blessures, elle essaie de l’aider à se remémorer, un nom, un détail. En vain.
Epuisé, il s’endort sur un canapé. Il se réveille en panique, ne sachant où il est, la respiration restreinte. Mais n’est-ce pas plutôt un rêve à l’intérieur d’un rêve ? Il se rendort et se réveille à nouveau.
Dans la grande cuisine de la maison, Hekmat un homme d’une cinquantaine d’années prépare à manger. Marwan, Ali, Maria et Carole sont là aussi. Est-ce leur chef, le leader ? On ne le saura jamais réellement. Il leur demande ce qu’il leur a pris d’amener cet étranger ici. Que faire de lui maintenant ? Un des hommes armés arrive à ce moment avec une petite boîte métallique contenant de la poudre blanche. A tour de rôle, on la goûte. Non, ce n’est pas encore ça. Il n’est pas question de seulement fabriquer de la « blanche », mais une blanche que l’on reconnaîtra entre mille, comme une marque déposée. Telle est l’ambition… L’homme armé repart avec la boîte.
Carole, Marwan, Maria, Ali et Hekmat se mettent à table et commencent à manger, quand l’homme accidenté entre dans la cuisine. Bien qu’en meilleur état, il est toujours pâle. On lui fait une place. Mangeant avec appétit, il s’arrête d’un coup, se rendant compte que les autres l’observent.
On essaye de lui raviver la mémoire, de lui faire écrire le premier mot qui lui vient. Il se bloque, se lève d’un coup. A la surprise de tous, Hekmat lui ordonne de se rasseoir. D’abord ébranlé, l’homme accidenté se ressaisit et sort de la cuisine.
Il traverse des champs de vignes. Un air d’une chanson d’amour lui revient, mais il s’interrompt quand il en prend conscience, tentant en vain de retrouver les paroles.
Resté dans la cuisine, Marwan qui prend des notes sur un cahier, est appelé au talkie-walkie. On l’attend. Il prend un chemin entre deux champs, croise un âne chargé de pierres qui semble égaré.
Il retrouve Carole et Hekmat en compagnie d’autres personnes dans un laboratoire installé au fond du hangar. On se rend compte que Marwan est le chimiste responsable de la drogue recherchée.
A l’extérieur, traversant des champs, l’âne égaré nous mène à un autre homme armé qui attend tranquillement la venue de l’homme accidenté. Il lui barre le chemin, lui faisant comprendre que le périmètre de liberté est limité.
A travers l’internet qui nous plonge dans la ville de Beyrouth, Maria et Ali tentent de ranimer la mémoire de l’homme accidenté. Plongée d’un quartier à l’autre de la capitale. « Qui vous dit que j’habite dans cette ville ? », dit l’homme accidenté, scrutant en vain ces images.
La nuit commence à tomber, l’homme accidenté masse sa cicatrice, un geste « familier » semble-t-il. Carole et Marwan partagent un moment d’intimité. Après avoir tenté de rassurer au téléphone sa compagne impatiente de le revoir, Hekmat, grillant une cigarette à l’extérieur, jette un regard à l’intérieur des différentes pièces de la maison à travers les fenêtres. La pièce de l’homme accidenté est vide, ce dernier étant face à son « double » dans le miroir d’une salle de bain.
Hekmat aperçoit Carole et Marwan dans leurs ébats amoureux. Toujours de l’extérieur, il s’arrête devant la fenêtre de la chambre de Maria qui dessine au fusain cette même fenêtre (de l’intérieur). Elle est persuadée que ce n’est pas le hasard qui les a fait rencontrer cet inconnu. Un de tes anges ? lui rétorque ironiquement Hekmat. Il poursuit sa ronde, entre dans la cuisine où Ali feuillette le cahier de Marwan. A son étonnement, des poèmes se retrouvent entre des formules mathématiques, chimiques.
Plusieurs dessins au fusain tapissent un mur de la chambre de Maria. Le même sujet, la même fenêtre de tout à l’heure vue de l’intérieur, et toujours la représentation d’un ange quelque part dans le cadre.
Assis seul dans l’obscurité, l’homme accidenté fredonne la chanson d’amour. Carole arrive, elle lui révèle le reste des paroles de la chanson. Hors champ, le journal télévisé annonce d’inquiétants mouvements de troupes dans la région du Proche-Orient. Toujours hors champ, Ali chante l’hymne national du Liban, bientôt rejoint par Maria. Railleurs, ils se jouent des paroles de l’hymne. C’est la fête de l’indépendance du pays. Pendant ce temps, dans le hangar, Marwan travaille seul au laboratoire.
Cette même nuit, des éclats de rires et de voix arrêtent l’homme accidenté qui se dirigeait vers la sortie. Il retrouve Carole, Maria, Marwan, Ali et Hekmat dans la cuisine, assis autour de la table. Verres en main, ils trinquent à la santé de Marwan. Manifestement, ce dernier a trouvé la « bonne formule » pour la drogue. Pas mal éméchés, les uns et les autres, ils accueillent l’homme accidenté qui ne sait de quoi il s’agit. « Il va falloir qu’on vous donne un nom, parce que comme ça, on risque de vous refiler toute sorte de sobriquet », lui dit Hekmat. Maria propose « Malak » (ange). On la raille. Persuadé que l’homme accidenté est chrétien, Hekmat décide de le nommer Joseph. N’importe quoi, lui rétorque-t-on. Sur quoi tu te bases ? Agacé, l’homme accidenté leur dit de l’appeler comme bon leur semble.
De plus en plus sous emprise de l’alcool, la conversation prend une tournure où l’on ne distingue plus la part du sérieux et la part de l’état éthylique. Cela s’achève dans une danse sans fin.
L’homme accidenté se réveille avant les premières lueurs de l’aube, il remet ses lentilles de contact et se glisse hors de la maison. Il s’avance prudemment à travers les champs. Alors qu’il atteint les limites du domaine, deux hommes armés lui tombent dessus. Il se débat. La crosse d’une kalachnikov s’écrase sur son crâne.
La première livraison de drogue : des hommes sortent du hangar des caisses remplies de drogue et les chargent dans des véhicules sous la surveillance de Hekmat et Ali.
Observant à distance, Marwan s’éloigne et s’engage dans un chemin entre deux champs. Il s’arrête devant un baril où brûle des branches et des mauvaises herbes. Il y jette son cahier dans les flammes et le regarde prendre feu.
Il poursuit son chemin vers la maison, marque un temps dans la cuisine. Carole le rejoint. Elle scrute le ciel, constate que les oiseaux migrateurs passent de plus en plus tardivement, qu’ils sont de moins en moins nombreux. Marwan est plus intéressé par le derrière de Carole. Lève un peu les yeux, lui dit-elle. Il préfère le bas.
L’homme accidenté est ligoté sur une chaise dans la pièce qui lui avait été attribuée. A tour de rôle, Ali, Marwan, Carole vont utiliser différentes méthodes pour lui soutirer des aveux. Que sait-il d’eux, qu’a-t-il vu ? Qui est-il ? On ne croit plus à son amnésie, d’autant plus qu’il n’y a aucun avis de recherche lui correspondant. De la violence physique, à la violence psychologique en passant par les attouchements sexuels. Tout y passe vainement, l’homme accidenté demeure obstinément muet.
Carole lui retire ses lentilles de contact, le laissant seul dans le flou.
L’homme accidenté reprend l’air de la chanson d’amour, se souvenant cette fois-ci du reste des paroles. A-t-il retrouvé la mémoire, n’osant pas le dire à ses hôtes-séquestreurs ?
Hors champ, à la télévision, on annonce que l’état d’alerte dans la région est toujours très élevé. Maria est assise dans la pièce où l’homme accidenté est ligoté. Il la voit floue. Elle s’approche de lui et commence à dessiner sur son torse nu avec un bâton de fusain. Forçant les traits, elle y dessine des parties anatomiques du corps. Des coups de fusil de chasse à l’extérieur interrompent son geste.
La nuit tombée, Ali, Carole, Maria et Marwan, épuisés par ce long et vain « interrogatoire » de l’homme accidenté, mangent avec grand appétit dans la cuisine. Hekmat qui n’y a délibérément pas participé (« Je vous laisse régler votre merde»), leur dit qu’il faut s’en débarrasser avant la nouvelle livraison.
Maria se saisit du pistolet posé sur la table, mais son élan est arrêté par l’arrivée agitée d’un des hommes armés. Il leur annonce que l’armée se déploie massivement dans la région. Une attaque est redoutée.
Hekmat, Carole, Ali, Marwan, Ali et Maria, chacun accompagnant un groupe d’hommes, le tout fort armé, prennent place aux quatre coins du domaine.
La nuit est longue, la tension est à son extrême.
Des hélicoptères se font entendre, bientôt suivis du lourd bruit de blindés s’approchant. Mais l’armée ne fait que passer à côté du domaine, nullement intéressées par le domaine et sa production illicite.
Quelqu’un de l’extérieur vient leur dire que l’armée se dirige vers les frontières, chose qui les surprend.
La tension se relâche.
L’homme accidenté est toujours ligoté sur sa chaise. Un vrombissement persistant bien que distant lui fait lever les yeux vers le plafond.
Carole, Hekmat, Maria, Marwan et Ali et tous les hommes du domaine sont maintenant regroupés à l’entrée du domaine. Ils scrutent le ciel, le vrombissement passant d’une chaine de montagnes à l’autre qui ceinturent la vallée. Le son s’éloigne, disparaît, quand deux avions de chasse surgissent à basse altitude. À peine le temps de réaliser, que bien d’autres avions de chasse suivent. Le ciel est noir d’avions de combat.
Le silence soudain, le ciel encore troublé du sillage des avions. La stupéfaction est générale.
Et c’est alors un déluge de feu inouï qui tombe de toute part plus ou moins au loin. Une puissance de feu telle que tout le monde reste sans voix.
On essaye d’appeler, mais le réseau ne fonctionne pas. La télévision non plus. De même la radio, parasitée. Voilà que le courant est coupé aussi.
Deux groupes quittent le domaine en voiture. Marwan, Carole et un homme armé d’un côté. Hekmat, Ali et deux autres hommes armés d’un autre. Les routes sont vides, les bombardements persistant au loin. Le premier groupe arrive dans un village visiblement précipitamment abandonné. Des véhicules bondés d’hommes armés (pas des membres de l’armée régulière) passant à toute allure, leur font signe de déguerpir.
Après avoir croisé des bêtes égarées, l’autre groupe s’arrête devant le terrible spectacle d’une colonne de l’armée qui a été la cible d’une foudroyante attaque aérienne.
Le premier groupe s’est arrêté dans un autre village tout aussi déserté. Un puissant et terrifiant grondement fait trembler les murs. Marwan qui a trouvé une vieille radio dans un garage, la met en marche et cherche une station sur les ondes longues. Carole et l’homme armé l’ont rejoint. Des bribes de voix (en langues étrangères) parasitées se font entendre à la radio. Puis une faible voix tremblante : Mon Dieu, ce n’est pas possible… Beyrouth a été rasée…
La voix se perd. Marwan, Carole et l’homme armé sont pétrifiés.
Sous un ciel de cendres, la vie semble s’être arrêtée dans le domaine, jusqu’à l’apparition de Maria. Elle traverse les champs et contourne le hangar devant lequel errent quelques uns des hommes de garde (ils ne portent plus leur arme). Elle retrouve Ali qui examine la jauge mesurant le niveau de mazout du groupe électrogène (unique fournisseur en électricité dans la propriété désormais). Ali jette un regard pas très rassurant à Maria.
Les bombardements se sont éloignés bien que toujours aussi denses.
L’homme accidenté a été relâché. Il mange avec grand appétit dans la cuisine. Maria entre. Elle s’installe face à lui et allume la vieille radio. Elle cherche sur les ondes, les parasites dominants. Elle hausse le volume de l’inaudible et insoutenable brouillage. Il la fixe de son regard myope.
Hekmat regarde son téléphone portable qui se vide de sa batterie. Marwan et Carole s’allongent côte à côte dans un lit. Dans le hangar, Ali regarde les caisses prêtes pour la prochaine livraison.
Sans mot dire, les hommes armés quittent la propriété.
Ils croisent l’homme accidenté qui marche le long de la route hors du domaine.
L’homme accidenté s’arrête au milieu d’un paysage déserté et silencieux. Un paysage qui lui est flou.
Nous sommes en haute montagne, à Ouyoun el Simane, au Liban. Un paysage encore enneigé. Un homme d’une cinquantaine d’années émerge du bord de la route. Il est en sang, hébété. L’explosion de sa voiture dans le ravin le fait sursauter.
Désemparé et visiblement sous le choc, l’homme longe cette route montagneuse déserte.
Une voiture en panne plus loin. Vainement penchés sur le moteur, Marwan et Ali, la quarantaine tous deux, sont pour le moins surpris de voir l’homme accidenté.
Ils l’interpellent sur l’accident, mais l’homme semble être dans un état second et réalise au bout de quelques questions posées qu’il a perdu la mémoire. Les deux hommes réessayent de mettre en marche le moteur quand l’homme accidenté (étant donné son amnésie, nul nom ne lui est attribué) intervient spontanément et règle le problème mécanique. Il perd conscience aussitôt après.
Ali laisse Marwan s’occuper de l’inconnu, et va chercher plus haut les deux femmes qui les accompagnent, Carole, la quarantaine, et Maria, la vingtaine, juchées sur des rochers, grillant des cigarettes tout en admirant le paysage. Au loin, entre deux flancs de montagne : la vallée de la Békaa.
La voiture remise en marche dévale une route sinueuse vers la vallée en question, l’homme accidenté encore inconscient, embarqué avec ces deux femmes et ces deux hommes.
Ils hésitent à abandonner cet inconnu en cours de route.
Ils traversent une partie de la vallée. Toujours engourdi, l’homme accidenté entrouvre parfois les yeux. Le temps d’apercevoir un barrage militaire, un village, où une église est suivie d’une mosquée. La voiture quitte la route principale et emprunte des chemins à peine fréquentés. Ils arrivent dans un vaste domaine privé. Des hommes armés sont de garde. Des champs, des plantations à perte de vue, un hangar (d’où l’on devine une importante activité) et une grande maison au cœur de tout cela.
Alors que Ali et Marwan déchargent la voiture, Carole emmène l’homme accidenté toujours aussi confus à l’intérieur de la maison.
Carole qui prend soin des blessures de l’homme accidenté, remarque une grande cicatrice scindant en deux la poitrine de l’homme (suite à une opération à cœur ouvert visiblement). Elle remarque aussi qu’il porte des lentilles de contact. Après avoir bander ses blessures, elle essaie de l’aider à se remémorer, un nom, un détail. En vain.
Epuisé, il s’endort sur un canapé. Il se réveille en panique, ne sachant où il est, la respiration restreinte. Mais n’est-ce pas plutôt un rêve à l’intérieur d’un rêve ? Il se rendort et se réveille à nouveau.
Dans la grande cuisine de la maison, Hekmat un homme d’une cinquantaine d’années prépare à manger. Marwan, Ali, Maria et Carole sont là aussi. Est-ce leur chef, le leader ? On ne le saura jamais réellement. Il leur demande ce qu’il leur a pris d’amener cet étranger ici. Que faire de lui maintenant ? Un des hommes armés arrive à ce moment avec une petite boîte métallique contenant de la poudre blanche. A tour de rôle, on la goûte. Non, ce n’est pas encore ça. Il n’est pas question de seulement fabriquer de la « blanche », mais une blanche que l’on reconnaîtra entre mille, comme une marque déposée. Telle est l’ambition… L’homme armé repart avec la boîte.
Carole, Marwan, Maria, Ali et Hekmat se mettent à table et commencent à manger, quand l’homme accidenté entre dans la cuisine. Bien qu’en meilleur état, il est toujours pâle. On lui fait une place. Mangeant avec appétit, il s’arrête d’un coup, se rendant compte que les autres l’observent.
On essaye de lui raviver la mémoire, de lui faire écrire le premier mot qui lui vient. Il se bloque, se lève d’un coup. A la surprise de tous, Hekmat lui ordonne de se rasseoir. D’abord ébranlé, l’homme accidenté se ressaisit et sort de la cuisine.
Il traverse des champs de vignes. Un air d’une chanson d’amour lui revient, mais il s’interrompt quand il en prend conscience, tentant en vain de retrouver les paroles.
Resté dans la cuisine, Marwan qui prend des notes sur un cahier, est appelé au talkie-walkie. On l’attend. Il prend un chemin entre deux champs, croise un âne chargé de pierres qui semble égaré.
Il retrouve Carole et Hekmat en compagnie d’autres personnes dans un laboratoire installé au fond du hangar. On se rend compte que Marwan est le chimiste responsable de la drogue recherchée.
A l’extérieur, traversant des champs, l’âne égaré nous mène à un autre homme armé qui attend tranquillement la venue de l’homme accidenté. Il lui barre le chemin, lui faisant comprendre que le périmètre de liberté est limité.
A travers l’internet qui nous plonge dans la ville de Beyrouth, Maria et Ali tentent de ranimer la mémoire de l’homme accidenté. Plongée d’un quartier à l’autre de la capitale. « Qui vous dit que j’habite dans cette ville ? », dit l’homme accidenté, scrutant en vain ces images.
La nuit commence à tomber, l’homme accidenté masse sa cicatrice, un geste « familier » semble-t-il. Carole et Marwan partagent un moment d’intimité. Après avoir tenté de rassurer au téléphone sa compagne impatiente de le revoir, Hekmat, grillant une cigarette à l’extérieur, jette un regard à l’intérieur des différentes pièces de la maison à travers les fenêtres. La pièce de l’homme accidenté est vide, ce dernier étant face à son « double » dans le miroir d’une salle de bain.
Hekmat aperçoit Carole et Marwan dans leurs ébats amoureux. Toujours de l’extérieur, il s’arrête devant la fenêtre de la chambre de Maria qui dessine au fusain cette même fenêtre (de l’intérieur). Elle est persuadée que ce n’est pas le hasard qui les a fait rencontrer cet inconnu. Un de tes anges ? lui rétorque ironiquement Hekmat. Il poursuit sa ronde, entre dans la cuisine où Ali feuillette le cahier de Marwan. A son étonnement, des poèmes se retrouvent entre des formules mathématiques, chimiques.
Plusieurs dessins au fusain tapissent un mur de la chambre de Maria. Le même sujet, la même fenêtre de tout à l’heure vue de l’intérieur, et toujours la représentation d’un ange quelque part dans le cadre.
Assis seul dans l’obscurité, l’homme accidenté fredonne la chanson d’amour. Carole arrive, elle lui révèle le reste des paroles de la chanson. Hors champ, le journal télévisé annonce d’inquiétants mouvements de troupes dans la région du Proche-Orient. Toujours hors champ, Ali chante l’hymne national du Liban, bientôt rejoint par Maria. Railleurs, ils se jouent des paroles de l’hymne. C’est la fête de l’indépendance du pays. Pendant ce temps, dans le hangar, Marwan travaille seul au laboratoire.
Cette même nuit, des éclats de rires et de voix arrêtent l’homme accidenté qui se dirigeait vers la sortie. Il retrouve Carole, Maria, Marwan, Ali et Hekmat dans la cuisine, assis autour de la table. Verres en main, ils trinquent à la santé de Marwan. Manifestement, ce dernier a trouvé la « bonne formule » pour la drogue. Pas mal éméchés, les uns et les autres, ils accueillent l’homme accidenté qui ne sait de quoi il s’agit. « Il va falloir qu’on vous donne un nom, parce que comme ça, on risque de vous refiler toute sorte de sobriquet », lui dit Hekmat. Maria propose « Malak » (ange). On la raille. Persuadé que l’homme accidenté est chrétien, Hekmat décide de le nommer Joseph. N’importe quoi, lui rétorque-t-on. Sur quoi tu te bases ? Agacé, l’homme accidenté leur dit de l’appeler comme bon leur semble.
De plus en plus sous emprise de l’alcool, la conversation prend une tournure où l’on ne distingue plus la part du sérieux et la part de l’état éthylique. Cela s’achève dans une danse sans fin.
L’homme accidenté se réveille avant les premières lueurs de l’aube, il remet ses lentilles de contact et se glisse hors de la maison. Il s’avance prudemment à travers les champs. Alors qu’il atteint les limites du domaine, deux hommes armés lui tombent dessus. Il se débat. La crosse d’une kalachnikov s’écrase sur son crâne.
La première livraison de drogue : des hommes sortent du hangar des caisses remplies de drogue et les chargent dans des véhicules sous la surveillance de Hekmat et Ali.
Observant à distance, Marwan s’éloigne et s’engage dans un chemin entre deux champs. Il s’arrête devant un baril où brûle des branches et des mauvaises herbes. Il y jette son cahier dans les flammes et le regarde prendre feu.
Il poursuit son chemin vers la maison, marque un temps dans la cuisine. Carole le rejoint. Elle scrute le ciel, constate que les oiseaux migrateurs passent de plus en plus tardivement, qu’ils sont de moins en moins nombreux. Marwan est plus intéressé par le derrière de Carole. Lève un peu les yeux, lui dit-elle. Il préfère le bas.
L’homme accidenté est ligoté sur une chaise dans la pièce qui lui avait été attribuée. A tour de rôle, Ali, Marwan, Carole vont utiliser différentes méthodes pour lui soutirer des aveux. Que sait-il d’eux, qu’a-t-il vu ? Qui est-il ? On ne croit plus à son amnésie, d’autant plus qu’il n’y a aucun avis de recherche lui correspondant. De la violence physique, à la violence psychologique en passant par les attouchements sexuels. Tout y passe vainement, l’homme accidenté demeure obstinément muet.
Carole lui retire ses lentilles de contact, le laissant seul dans le flou.
L’homme accidenté reprend l’air de la chanson d’amour, se souvenant cette fois-ci du reste des paroles. A-t-il retrouvé la mémoire, n’osant pas le dire à ses hôtes-séquestreurs ?
Hors champ, à la télévision, on annonce que l’état d’alerte dans la région est toujours très élevé. Maria est assise dans la pièce où l’homme accidenté est ligoté. Il la voit floue. Elle s’approche de lui et commence à dessiner sur son torse nu avec un bâton de fusain. Forçant les traits, elle y dessine des parties anatomiques du corps. Des coups de fusil de chasse à l’extérieur interrompent son geste.
La nuit tombée, Ali, Carole, Maria et Marwan, épuisés par ce long et vain « interrogatoire » de l’homme accidenté, mangent avec grand appétit dans la cuisine. Hekmat qui n’y a délibérément pas participé (« Je vous laisse régler votre merde»), leur dit qu’il faut s’en débarrasser avant la nouvelle livraison.
Maria se saisit du pistolet posé sur la table, mais son élan est arrêté par l’arrivée agitée d’un des hommes armés. Il leur annonce que l’armée se déploie massivement dans la région. Une attaque est redoutée.
Hekmat, Carole, Ali, Marwan, Ali et Maria, chacun accompagnant un groupe d’hommes, le tout fort armé, prennent place aux quatre coins du domaine.
La nuit est longue, la tension est à son extrême.
Des hélicoptères se font entendre, bientôt suivis du lourd bruit de blindés s’approchant. Mais l’armée ne fait que passer à côté du domaine, nullement intéressées par le domaine et sa production illicite.
Quelqu’un de l’extérieur vient leur dire que l’armée se dirige vers les frontières, chose qui les surprend.
La tension se relâche.
L’homme accidenté est toujours ligoté sur sa chaise. Un vrombissement persistant bien que distant lui fait lever les yeux vers le plafond.
Carole, Hekmat, Maria, Marwan et Ali et tous les hommes du domaine sont maintenant regroupés à l’entrée du domaine. Ils scrutent le ciel, le vrombissement passant d’une chaine de montagnes à l’autre qui ceinturent la vallée. Le son s’éloigne, disparaît, quand deux avions de chasse surgissent à basse altitude. À peine le temps de réaliser, que bien d’autres avions de chasse suivent. Le ciel est noir d’avions de combat.
Le silence soudain, le ciel encore troublé du sillage des avions. La stupéfaction est générale.
Et c’est alors un déluge de feu inouï qui tombe de toute part plus ou moins au loin. Une puissance de feu telle que tout le monde reste sans voix.
On essaye d’appeler, mais le réseau ne fonctionne pas. La télévision non plus. De même la radio, parasitée. Voilà que le courant est coupé aussi.
Deux groupes quittent le domaine en voiture. Marwan, Carole et un homme armé d’un côté. Hekmat, Ali et deux autres hommes armés d’un autre. Les routes sont vides, les bombardements persistant au loin. Le premier groupe arrive dans un village visiblement précipitamment abandonné. Des véhicules bondés d’hommes armés (pas des membres de l’armée régulière) passant à toute allure, leur font signe de déguerpir.
Après avoir croisé des bêtes égarées, l’autre groupe s’arrête devant le terrible spectacle d’une colonne de l’armée qui a été la cible d’une foudroyante attaque aérienne.
Le premier groupe s’est arrêté dans un autre village tout aussi déserté. Un puissant et terrifiant grondement fait trembler les murs. Marwan qui a trouvé une vieille radio dans un garage, la met en marche et cherche une station sur les ondes longues. Carole et l’homme armé l’ont rejoint. Des bribes de voix (en langues étrangères) parasitées se font entendre à la radio. Puis une faible voix tremblante : Mon Dieu, ce n’est pas possible… Beyrouth a été rasée…
La voix se perd. Marwan, Carole et l’homme armé sont pétrifiés.
Sous un ciel de cendres, la vie semble s’être arrêtée dans le domaine, jusqu’à l’apparition de Maria. Elle traverse les champs et contourne le hangar devant lequel errent quelques uns des hommes de garde (ils ne portent plus leur arme). Elle retrouve Ali qui examine la jauge mesurant le niveau de mazout du groupe électrogène (unique fournisseur en électricité dans la propriété désormais). Ali jette un regard pas très rassurant à Maria.
Les bombardements se sont éloignés bien que toujours aussi denses.
L’homme accidenté a été relâché. Il mange avec grand appétit dans la cuisine. Maria entre. Elle s’installe face à lui et allume la vieille radio. Elle cherche sur les ondes, les parasites dominants. Elle hausse le volume de l’inaudible et insoutenable brouillage. Il la fixe de son regard myope.
Hekmat regarde son téléphone portable qui se vide de sa batterie. Marwan et Carole s’allongent côte à côte dans un lit. Dans le hangar, Ali regarde les caisses prêtes pour la prochaine livraison.
Sans mot dire, les hommes armés quittent la propriété.
Ils croisent l’homme accidenté qui marche le long de la route hors du domaine.
L’homme accidenté s’arrête au milieu d’un paysage déserté et silencieux. Un paysage qui lui est flou.
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